Cette article consacré à Giuseppe et Dominique Patruno vous est proposé par Patrick Dorkel " As du Cyclisme" - https://www.facebook.com/As-du-Cyclisme-
Les Patruno
Giuseppe Patruno : « A midi, je ne mangeais pas, j’allais rouler deux heures »
Giuseppe et Dominique Patruno font partie du paysage cycliste auvergnat. Originaire du sud de l’Italie, la dynastie est venue se fixer à Clermont-Ferrand à la fin des années 50. A la longévité de Beppe, son fils a opposé une carrière à moitié accomplie. Pas une course en Auvergne sans voir l’un ou l’autre. Dominique reste implanté dans le milieu cycliste puisqu’aujoud’hui encore il est le mécanicien attitré du Team Pro Immo Nicolas Roux. Deux parcours différents pour deux personnages très attachants.
Beppe, quel est ta date et ton lieu de naissance ?
Je suis né le 22 février 1939 à Corato dans les Pouilles en Italie. Enfant, j’ai vécu la rivalité entre Fausto Coppi et Gino Bartali qui divisait l’Italie. J’ai commencé à faire de petites courses de villages à droite à gauche avec un vieux vélo. Nous n’avions pas d’argent. Après guerre, la région des Pouilles, tournée vers l’agriculture, était très pauvre. Un des coureurs les plus connus se nomme Vito Di Tano. Il a remporté deux fois le titre mondial de cyclo-cross chez les amateurs. Il dirige aujourd’hui les cyclo-crossmen transalpins à Milan. Les courses ont surtout lieu dans le nord. Cela représentait beaucoup d’argent pour aller les disputer.
Comment viens-tu au cyclisme ?
Mon frère qui était déjà en France m’a proposé de le rejoindre en 1956 à Grenoble. Avec mes premiers salaires, je me suis acheté un vélo de course ; j’ai commencé à m’entraîner dans la région grenobloise. J’ai pris ma première licence en 1958. Mon directeur sportif était Pierre Molinéris (Vainqueur d’étape sur le Tour 1952). Il dirigeait l’Association Sportive Franco-Italienne. En 1957, je suis allé de Grenoble au sommet du Galibier pour aller voir passer le Tour avec Anquetil, Nencini... Mon frère s’est marié à Clermont-Fd, je suis parti le rejoindre. A Grenoble je travaillais en usine alors que j’étais apprenti maçon. En Auvergne, j’ai trouvé du travail sur les chantiers. J’ai disputé ma première course le 1er mai à Riom, le Prix du Muguet. Je me suis licencié au Cycle Olympique Chamalièrois. J’ai porté les mêmes couleurs durant 37 ans.
Pas facile de combiner le métier de maçon et la pratique de la compétition ?
Quand je suis arrivé en France, à part mon frère je n’avais pas d’autre famille. J’ai plus passer de temps à travailler qu’à m’entraîner. Soit j’allais rouler après ma journée ou alors je ne mangeais pas à midi pour faire deux heures de vélo. Parfois il fallait faire 60 heures par semaine ! Il m’arrivait d’aller travailler le dimanche matin, j’allais courir l’après-midi ! C’est ce qui s’est passé à Cébazat. Je ne voulais même pas disputer la course. Mon épouse me prépare une assiette de pâtes. Je me suis dit : « On verra bien » ; j’ai terminé second.
Tu as disputé de grandes épreuves ?
La plus belle course à laquelle j’ai participé, c’est le « Grand Prix du Rasoir Philips » en 1961 avec les professionnels (Jean Dotto, Louis Bergaud, Guy Ignolin (le Vainqueur), Willy Bocklandt, Luis Otano…). J’avais pris une journée de congé pour faire cent bornes afin de préparer cette course. J’ai abandonné lors de la 3e étape. D’avril à septembre nous disputions deux à trois épreuves par semaine. En 1962 j’ai obtenu de bons résultats, je pense que c’était ma meilleure année. En 1963, sur la route de Riom, vers Ladoux je me suis fais renverser par une voiture, je suis resté trois jours dans le coma et ma jambe droite a été sérieusement amochée. Quand j’ai repris, j’ai disputé la saison de cyclo-cross, où j’ai fait de nombreuses places, puis la saison sur route. J’ai parfois joué de malchance. En 1966, dans le Cantal, je touche la roue d’un gars je me retrouve au sol avec une fêlure du fémur. En 1969, lors d’un cyclo-cross à Mozac, j’étais en seconde position derrière Daniel Barbry, je prends un caniveau, tombe sur la tête, ce qui m’occasionna huit points de suture.
Jusqu’à quel âge as-tu couru ?
J’ai arrêté à 70 ans. J’ai couru en UFOLEP, en cyclos. L’an dernier j’ai encore fait 15 000 km. Le matin je me lève, je tourne en rond à la maison, alors je prends le vélo et je vais rouler 80 km. Je me suis beaucoup impliqué au Comité d’Auvergne pendant une quinzaine d’années. J’étais l’homme à tout faire : masseur, directeur sportif, mécano… Quand une équipe italienne venait courir dans notre région je les encadrais comme traducteur. J’ai aussi accompagné une équipe junior italienne lors d’une course internationale…
Quels sont les coureurs qui t’ont impressionné en Auvergne ?
Je pense à Jean Blanc qui a disputé le Tour 1949, Dino Alessio, Fernand Farges, Ferdinand Julien, Daniel Barbry… Ce sont des copains, nous sommes toujours contents de nous retrouver. Au plan international j’étais impressionné par les démarrages de Franco Bitossi.
Tu as transmis ta passion à Dominique
J’ai toujours suivi le vélo y compris à la télé. Il a baigné dans ce milieu. Il a pris la relève...
Dominique Patruno : « A partir du mois de mai, je ne pensais plus au vélo »
Dominique (5 septembre 1969 à Chamalières) est l’exemple même du coureur pétri de talent qui a pratiqué le cyclisme comme un jeu, vivant l’instant présent sans chercher à franchir les paliers qui l’auraient conduit à des résultats plus en rapport avec ses possibilités physiques. Doué sur la route comme en cyclo-cross, son parcours est atypique. Dominique apporte beaucoup de fraîcheur par sa désinvolture mais il démontre aussi que la compétition est une exigence qui doit se vivre à 100 %.
Avec un père qui a consacré une partie de sa vie au vélo, la route était tracée ?
Enfant il m’emmenait aux courses. Lorsqu’il ne voulait pas, j’allais me cacher dans la voiture. J’ai débuté le cyclisme en minime 2e année en ne disputant qu’une course le Championnat d’Auvergne que j’ai terminé autour de la 20e place. J’étais licencié, comme mon père, au Cycle Olympique Chamalièrois, jusqu’à ma première année de senior. En cadet 1, je n’ai pas couru. J’ai repris en cadet 2e année en remportant trois ou quatre épreuves.
Podium de Saint-Herblain : D. Patruno en compagnie de Cyriaque Duval, vainqueur, et L Ory
Tes résultats ont été rapides ?
En senior, j’ai débuté la saison en 3e catégorie, en juin j’étais passé en 1ère en terminant 4e du Championnat d’Auvergne au Breuil dans l’Allier. Le dimanche d’après je gagnais à Largnac (15) devant Aigueparses (ex-pro). Puis j’ai fait mon service militaire au mois d’août à la Base Aérienne d’Orange. On travaillait le matin, l’après-midi, nous ne faisions que du vélo. J’ai signé une licence à Montpellier. Nous étions dirigé pas Roger Pingeon (Vainqueur du Tour 1967). C’était un directeur sportif dur avec nous mais aussi très à l’écoute de ses coureurs. J’ai disputé de belles courses : Montpellier-Barcelone, Le Tour du Gévaudan... Dans l’équipe, il y avait Stéphane Goubert (pro de 1993 à 2009). Lorsque je suis rentré de l’armée j’ai signé dans la formation à Patrick Bulidon à Aulnat.
Comment se déroulent ces premières années avec Patrick ?
Dans l’équipe il y avait du beau monde avec Jacek Bodyk, Henryk Charucki (vainqueur du Tour de Pologne 1979), Marcel Kaikinger (pro de 1982 à 1988), Eric Fouix, Jean-Philippe Duracka. Dès la première année, j’ai été sélectionné pour le Tour d’Auvergne où j’ai eu un rôle d’équipier. J’étais plutôt grimpeur, 1,73 m pour 58 kg, doté d’une bonne pointe de vitesse, je passais bien les bordures. J’étais très performant en début de saison, dès qu’arrivait l’été, je m’éparpillais un petit peu. Les copains ne me voyaient pas de quinze jours, après je reprenais le vélo… Mon père partait au boulot, on se croisait, moi je rentrais de boîte de nuit. Je dormais puis après j’allais rouler. Je travaillais l’hiver en intérim ; aux beaux jours j’essayais de ne faire que du vélo. Je ne regrette pas mais j’ai vu des David Delrieu, Vincent Cali passer pro alors que je ne valais pas moins qu’eux. Ils étaient sérieux. Je n’ai pas su faire les sacrifices nécessaires.
Tu as fais une belle carrière en cyclo-cross
Le public se souvient davantage de mes performances en cyclo-cross alors que sur route mon palmarès n’est pas mal non plus avec un titre de Champion d’Auvergne en 1996. Lorsque j’étais sérieux, je ne craignais personne. Je me souviens avoir remporté trois courses le même week-end en 98, La Nocturne de Tulle, le Puy-en-Velay et les « Deux Ponts » à Montluçon. J’avais 85 de VO2max sans faire le métier. J’avais aussi mon franc-parler ce que tout le monde n’appréciait pas.
En cylo-cross, j’ai débuté avec le vélo à mon père. En junior, j’ai participé à des stages en équipe de France. J’ai terminé 3e d’une manche du Challenge National 1986 (5e). Je devais disputer les Championnats du Monde à Prague lorsque je crève près de l’arrivée, je termine 8e et je vois s’envoler ma sélection. En 97, j’ai remporté 13 cyclo-cross, j’ai aussi deux titres de Champion d’Auvergne et un titre de Champion du Languedoc.
Quels ont été les coureurs qui t’ont le plus marqué lors de ta carrière cycliste ?
Je crois que ce sont les Polonais : Bodyk, Charucki, Karlowicz. Ils avaient une manière très particulière de s’entraîner. On avait prévu de faire 150 bornes, il n’y en avait qu’un qui menait de bout en bout. Le lendemain c’était le tour d’un autre qui partait pour un contre-la-montre de 150 km. Nous étions incapables de faire cela, ils avaient une autre dimension. Mais je n’oublierai pas Jean-Philippe (Duracka), l’année où il a été numéro un français.
Chez les pros lorsque je suivais David Millar sur un chrono, c’était beau à voir. Il ne bougeait pas sur le vélo, prenait des virages fluides, un régal. J’ai appelé mon fils Marco en rapport à Marco Pantani que j’admirais énormément.
Un coureur de ton niveau gagnait combien par saison ?
Je n’ai rien à cacher, regarde, saison 87, 18 235 francs en sachant que je courais très peu l’été. Si on remportait une victoire il fallait partager avec les équipiers qui t’avaient aidé. Regarde en 97, j’ai participé à 19 cyclo-cross, j’ai empoché 15 000 francs.
Quand tu arrêtes, tu restes dans le vélo ?
J’ai été mécano chez Besson-Chaussures puis dans l’équipe Post-Swiss Team, je gagnais bien ma vie, payé en francs suisses. En fait j’avais sympathisé avec d’autres mécanos et par connaissance (Guy Millet) on a fait appel à moi. J’ai accompagné l’équipe helvétique sur toutes les courses en France ainsi que sur le Tour de Suisse, le Tour d’Autriche. Cette année-là Martin Elmiger, un de nous coureurs, est devenu Champion de Suisse.
L’année d’après un mécano de l’équipe Cofidis tombe malade Guitof me demande si je peux le remplacer sur le Tour de Valence. Du coup, j’ai été mécano de la formation sur Tirreno-Adriatico, Milan-San Remo avec de grands coureurs Millar, Trentin, Lelli, Moncoutier, Gaumont, Andrei Kivilev. Cette année-là j’ai fait la dernière semaine du Tour de France. Derrière j’ai fait la Vuelta. Quand tu partais, tu ne rentrais pas à la maison pendant deux mois. Nous étions trois mécanos. Chacun s’occupait de trois coureurs.
Tu as repris le vélo à quel âge ?
J’ai repris le vélo à 38 ans à Cusset ! J’ai gagné mon dernier cyclo-cross à 43 ans. C’était un défi que je m’étais fixé. Je voyais des gars qui étaient dans ma tranche d’âge encore très compétitif, j’ai donc pris une licence au CC Périgueux-Dordogne. En trois mois d’entraînement je suis revenu à niveau. J’ai disputé dix cyclo-cross, j’en ai gagné cinq. Lorsque j’ai arrêté la compétition, je ne voulais pas prendre vingt kilos, j’ai continué à rouler pour m’entretenir.
Maintenant que tu es mécanicien du Team Pro Immo, comment vois-tu l’équipe de l’intérieur ?
C’est un groupe bien encadré avec Jean-Philippe Duracka. Je pense que Nicolas Vogondy apporte beaucoup compte tenu de son expérience acquise chez les pros. Pour ma part, j’ai toujours été très proche des coureurs. Ils savent que lorsqu’ils montent sur le vélo, il est nickel. Les victoires sont difficiles à gagner en Auvergne. L’équipe porte toujours tout le poids de la course.
Je suis très lié d’amitié avec Patrick Bulidon qui a parfois dû être déçu par mon comportement de coureur. Il y a des saisons durant lesquelles il aurait pu me virer. Fin juillet, je partais en Italie à la plage. J’ai remporté quelques courses aussi là-bas. Mais je lui gagnais quand même cinq ou six courses dans l’année.
Raconte-nous une anecdote amusante
Au Tour de la Martinique, échappés à cinq avec un coureur suisse et trois locaux, j’étais leader virtuel avec cinq minutes d’avance, à 15 km de l’arrivée. Je me voyais déjà sur le podium avec le bouquet ! Une vache, apeurée par les klaxons, a cassé sa chaîne. Elle est venue me percuter ainsi que le coureur suisse laissant filer les trois Martiniquais. En guise de podium, je me suis retrouvé à l’hôpital avec un traumatisme aux cervicales.
En Italie j’ai oublié mon sac à la maison lors d’une course remportée par Leonardo Piepoli (Meilleur Grimpeur du Giro 2007). Il m’ont prêté un cuissard, une paire de chaussures deux pointures en dessous de ma taille et un T-Shirt en guise de maillot. J’ai néanmoins terminé la course.
Comme souvent, c’est un bel après-midi que nous avons passé à évoquer les souvenirs de Beppe et de Dominique. Bien sûr on imagine mal les années à venir sans un Patruno sur le vélo. Mais Dominique connaît trop bien les exigences du métier de coureur cycliste pour orienter son fils sur cette voie difficile. Pour l’instant, il joue au foot. Mais quand la passion nous tient...